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LE DROIT FRANCAIS DES CONGES PAYES EST TOUJOURS CONTRAIRE AU DROIT EUROPEEN

Quelques semaines seulement après la publication de loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, une décision de la Cour de cassation rappelle que le droit français n’est toujours pas conforme au droit européen en matière de congés payés.

Dans un arrêt du 13 avril 2023[1], la Chambre sociale a ainsi réaffirmé :

  • Le caractère directement invocable à l’égard d’un employeur délégataire de l’exploitation d’un réseau de transport en commun intérieur de la directive 2003/88/CE ;
  • Le droit d’un salarié de revendiquer l’application de l’article 7 de cette directive lui ouvrant droit à des congés payés d’au moins quatre semaines par an du fait de sa qualité de travailleur, peu important qu’il ait été absent à raison d’un arrêt de travail pour maladie.

En droit français, l’article L. 3141- 3 du code du travail conditionne l’acquisition des congés payés à du travail effectif, ce qui, selon l’article L. 3141-5 du même code, exclut les périodes d’arrêt maladie d’origine non professionnelle, sauf disposition conventionnelle contraire.

Cette restriction est contraire au droit européen, plus particulièrement à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Cet article entend en effet garantir un socle minimal de quatre semaines de congés payés à chaque travailleur de l’Union, considérant que tout salarié en arrêt de travail pour maladie acquiert des congés payés pendant son absence, sans opérer de distinction entre l’origine professionnelle ou non de la maladie.

Pourtant, près de 20 ans après son entrée en vigueur, ce texte n’a toujours pas été intégralement transposé en droit français, ce qui pose plusieurs problèmes :

Il n’a pas d’effet horizontal à l’égard des particuliers. Les salariés d’une entreprise privée ne peuvent donc pas l’invoquer en tant que tel à l’encontre de leur employeur.[2]

Il a en revanche un effet vertical à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir directement à leur encontre devant les juridictions françaises.[3]

Il y a en conséquence un déséquilibre sur ce point entre les salariés du public et ceux du privé.

Certes, les salariés des employeurs de droit privé peuvent toujours tenter d’invoquer la directive devant les juridictions françaises. Néanmoins, le juge étant supposé trancher le litige en appliquant le droit français, les articles L. 3141- 3 et suivants du code du travail s’imposent à lui, sauf situation particulière.

Dans une affaire très commentée, la convention collective applicable comportait deux clauses relatives aux congés payés : l’une prévoyant que les absences pour longue maladie avec maintien de salaire sont assimilées à du temps de travail et l’autre que les absences pour maladie d’une durée supérieure à 12 mois n’ouvrent pas droit à congé. La Chambre sociale a pu faire prévaloir la première clause en rappelant que le juge doit interpréter le droit national à la lumière du droit européen.[4]

En revanche, à défaut de particularité de ce type, le salarié auquel l’employeur de droit privé ne garantit pas l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie simple ne dispose que de l’option suivante :

  • Engager la responsabilité de l’Etat pour obtenir une indemnisation correspondant au montant des jours de congés payés perdus, dans la limite des quatre semaines par an garanties par la directive.[5]
  • Invoquer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 31 prévoit que tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés, et dont la Cour de Justice de l’Union européenne reconnaît l’effet direct horizontal à l’égard des particuliers depuis 2018.[6]

Ces dernières années, la France s’est alignée sur le droit de l’Union en matière de congés payés par petites touches successives :

  • La Cour de cassation a consacré le droit au report des congés payés lors de la reprise du travail du salarié absent pour maladie[7] et étendu la règle d’acquisition des droits à congés payés durant une absence consécutive à un accident de travail aux accidents de trajet.[8]
  • La loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives a imposé l’ouverture du droit à congés payés des salariés dès le premier jour de travail, là où il fallait 10 jours de travail effectif chez le même employeur auparavant.[9]
  • Le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du code du travail privant de congés payés les salariés licenciés pour faute lourde.[10]

Mais sur l’acquisition de droits à congés payés durant une absence pour maladie simple, le législateur persiste à faire la sourde oreille, et ce malgré les suggestions de réforme répétées de la Cour de cassation dans ses rapports annuels.[11]

Dans un contexte de désaffection pour le travail et de vives tensions sociales, un alignement du droit national sur le droit de l’Union européenne, sur un sujet particulièrement cher au cœur des salariés français, permettrait de garantir une égalité de traitement entre les travailleurs tout en restaurant la sécurité juridique des entreprises et en préservant l’Etat français d’actions en responsabilité et en manquement.

PAR STEFANIE OUDARD, Avocat à la Cour


[1] Cass.soc.13 avril 2023, n°21-23.054

[2] Cass. soc. 13 mars 2013, n°11-22.285

[3] Cass. soc. 22 juin 2016, n°15-20.111

[4] Cass. soc. 15 septembre 2021, n°20-16.010

[5] TA Clermont-Ferrand, 6 avril 2016, n°1500608

[6] CJUE, 6 novembre 2018, Bauer, C-569/16 et C-570/16, Brossonn

[7] Cass. soc. 24 février 2009, n°07-44.488

[8] Cass. soc. 2 juillet 2012, n°08-44.834

[9] Loi 2012-387 du 22 mars 2012, article 50

[10] Conseil constitutionnel n°2015-523 du 2 mars 2016

[11] Pas moins de 5 suggestions dans les rapports de 2013 (p.64) ; 2014 (p.43) ; 2015 (p.33) ; 2016 (p.33) et 2018 (p.98)

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